
Source: Un texte de Melissa Pelletier et François Sanche, de La facture
Année après année, Bell détient le record du plus grand nombre de plaintes quant à la qualité du service à la clientèle. Pourquoi? Et quels sont les recours des consommateurs insatisfaits?
Bell offre des promotions concurrentielles et sa technologie est attrayante, mais son service à la clientèle a du mal à suivre le rythme effréné des multiples promotions. Il en résulte de nombreuses erreurs de facturation et des clients doivent se battre pour obtenir le prix promis.
Une première facture inexacte
En janvier dernier, quelqu’un cogne à la porte de Marc Giard et Annie Boulianne. Une représentante de Bell propose trois services de télécommunications (télé, Internet et téléphonie) à 77,90 $ par mois.
Le couple est tenté, mais l’affaire semble compliquée. La représentante explique qu’ils recevront une première facture plus élevée, qui sera corrigée le mois suivant, lorsqu’un rabais supplémentaire sera appliqué.
Annie Boulianne, cliente de Bell Photo : Radio-Canada
J’ai demandé [à la représentante] : « Oui, mais comment es-tu capable de me donner ce prix-là? » L’agente m’a dit : « Moi, je t’offre le prix que Bell donnerait en dernier recours à ses clients pour la rétention. »
Mais ce rabais de « rétention » n’a jamais été appliqué. Marc Giard et Annie Boulianne ont passé des heures au téléphone à s’obstiner avec différents agents de Bell.
D’autres clients de Bell ont relaté des histoires similaires.
D’abord « satisfaire les actionnaires »
Quel est ce problème si tenace que Bell ne parvient pas à corriger? Selon Louis Fabien, professeur de marketing à HEC Montréal, l’entreprise a un âge vénérable et l’information passe mal entre les départements.
Louis Fabien, professeur de marketing à HEC Montréal Photo : Radio-Canada
« Il y a l’abonnement des services, la facturation, le service, puis le service après-vente. […] Généralement, au lieu d’avoir cinq silos, on a un seul système, dans lequel il y a une base de données pour chaque client, dans laquelle il y a son abonnement, les scripts, sa facture, la soumission », explique M. Fabien.
Dans le cas d’Annie Boulianne et Marc Giard, l’information a sans doute été perdue entre le sous-traitant qui embauche les représentants du porte-à-porte et l’agent du département de l’abonnement.
Selon un observateur financier qui a requis l’anonymat, « Bell a beaucoup coupé dans ses coûts pour faire face à la baisse de ses revenus ». Le service à la clientèle en a souffert. Pourtant, l’entreprise est rentable et les actionnaires sont satisfaits.
« Leur premier objectif, c’est de satisfaire les actionnaires. Le retour sur action est excellent. Pourquoi investir dans le service à la clientèle? Pourquoi investir dans des pratiques différentes […], alors que ça va bien financièrement? » demande Louis Fabien.
La mauvaise qualité du service à la clientèle a été mesurée par la Commission des plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST). Année après année, Bell reste le cancre dans le domaine. La CPRST reçoit systématiquement plus de plaintes au sujet de Bell que sur ses concurrents.
Selon le rapport annuel 2015-2016 de la Commission, Bell arrive au premier rang, avec près de 3000 plaintes, ce qui représente 35,9 % de l’ensemble des plaintes. Rogers arrive en deuxième position, avec 10,5 % des plaintes.
L’écart entre Bell et les autres fournisseurs de services est frappant. Josée Thibault, commissaire adjointe de la CPRST, affirme que Bell s’est améliorée ces dernières années, mais qu’elle figure toujours au premier rang du nombre de plaintes.
La réponse de Bell
Dans un courriel à La facture, Bell a reconnu que « des erreurs ont été commises et des promotions spéciales n’ont pas été correctement appliquées aux comptes de certains clients qui ont reçu des factures qui ne reflétaient pas les conversations qu’ils ont eues » avec ses agents.
Bell dit avoir déjà corrigé la situation d’un certain nombre de cas que nous lui avons soumis. L’entreprise affirme également qu’elle a offert de la formation additionnelle aux agents impliqués dans ces cas d’erreurs de facturation.
Les défis de la marque Bell
Selon Yany Grégoire, professeur au Département de marketing et titulaire de la Chaire en marketing des services et expérience-client à HEC Montréal, Bell a ruiné sa marque. « C’est probablement un des annonceurs publicitaires les plus grands au Québec. Il y a toujours de bonnes publicités, mais en dépit de ça, la marque de Bell est quand même très faible. On le sait par les classements. C’est une des compagnies les moins admirées. C’est une des conséquences les plus graves [du mauvais service à la clientèle]. »
Yany Grégoire, professeur de marketing et titulaire de la Chaire en marketing des services et expérience-client à HEC Montréal Photo : Radio-Canada
En marketing, la marque, c’est l’actif le plus important. Une marque forte amène la loyauté. Les clients sont prêts à payer plus cher. Clairement, toutes ces actions-là de Bell ont affaibli la marque, ce qui fait qu’ils doivent vraiment compétitionner sur le prix, et ça, ce n’est jamais une très bonne chose.
Si Bell tire son épingle du jeu, ajoute-t-il, c’est grâce à l’absence d’une réelle concurrence dans le marché canadien, où les prix se ressemblent.
Un recours efficace pour les clients insatisfaits
À l’exception de sa mauvaise expérience avec le service à la clientèle, Marc Giard est satisfait de la technologie de Bell et s’estime très bien servi.
Pour régler son problème, il aurait pu faire affaire avec la Commission des plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST). Cet organisme indépendant est chargé de résoudre les problèmes au sujet des services téléphoniques, sans fil, de télévision et d’Internet des clients des fournisseurs de services de télécommunications. La majorité des plaintes, soit 90 %, sont résolues en 30 jours et sans frais pour les consommateurs.
Josée Thibault, commissaire adjointe à la CPRST Photo : Radio-Canada
Si les consommateurs ne sont pas satisfaits, ce n’est pas nécessaire d’appeler à maintes reprises et de passer 50 heures au téléphone. On peut intervenir et il y a de bonnes chances que l’on puisse les aider.
Le CRTC oblige les entreprises de télécommunications à financer la CPRST. Plus il y a de plaintes à l’encontre d’une entreprise, plus sa cotisation est élevée. Bell se trouve donc à payer le prix de ses mauvaises pratiques.